Élisabeth Vallet

by Oct 9, 2020

Il a fallu quelques jours après la chute des deux tours jumelles, pour que dans la foulée du 11 septembre, graduellement, l’on puisse de nouveau circuler en Amérique du Nord. Or cette brève réaction était annonciatrice d’une tendance : mûs par une paranoïa grandissante directement liée au fait que l’ennemi était désormais non-étatique, furtif et multinational, les régimes frontaliers ont radicalement changé. Ainsi, la crispation sécuritaire du début du 21e siècle a ramené les frontières, simples lignes de démarcation entre des univers nationaux, au cœur des outils de définition de l’identité des États. Souples et perméables, parfois même non démarquées, elles sont devenues plus dures : renforcées, fortifiées, blindées, surlignées par des infrastructures massives – murs, barrières, miradors, chemins de rondes – symptômes d’un enfermement des États nations derrière des remparts toujours plus sophistiqués. Dans cette optique, les frontières n’ont plus pour but de canaliser des flux vers des points de passage mais bien de les enrayer, purement et simplement. Et la sanctuarisation de l’État derrière des remparts, qui paraissait à la fin du millénaire appartenir au passé, à un temps révolu, s’est graduellement normalisée. Ce que la facilité et la promptitude avec lesquelles les frontières à travers le monde ont été fermées au printemps 2020, en plein cœur de la pandémie, montrent sans ambiguïté. Ma recherche vise donc à comprendre comment l’emmurement du monde résulte de chocs sécuritaires mondiaux, mais aussi comment, alors qu’ils sont conçus comme un remède aux incertitudes d’un monde global en pleine recomposition, les murs produisent de l’instabilité, sans toutefois résoudre les problèmes initiaux auxquels ils disent répondre. Paradoxalement, mobilités et immobilités se concentrent autour du mur-frontière, où les inégalités de la mondialisation déviante deviennent manifestes. C’est la raison pour laquelle ma recherche part du postulat que les murs frontaliers doivent être pensés globalement : en effet, les murs sont le reflet des dysfonctionnements de la mondialisation, ils sont le corolaire d’un monde apolaire, orphelin d’un multilatéralisme fonctionnel, mais ne permettent pas d’enrayer durablement les flux qu’ils sont sensés arrêter. À travers mes institutions d’attache, la Chaire Raoul-Dandurand à l’UQAM et le Collège militaire royal de Saint Jean, j’ai donc la possibilité de développer ma recherche de manière transversale, tout en bénéficiant de l’apport du réseau pancanadien « Borders in Globalization » basé à l’Université de Victoria. L’avantage pour moi est de pouvoir dépasser ainsi les frontières disciplinaires, institutionnelles, provinciales et linguistiques pour construire des ponts (scientifiques) plutôt que des murs.

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Auteure

Élisabeth Vallet
Élisabeth Vallet est chercheuse au CIC, à la Chaire Raoul-Dandurand à l’UQAM et au Collège militaire royal de Saint-Jean. Comme chercheuse au CIC, elle entend axer sa recherche en particulier sur les inégalités et les études en matière de frontières. Ses recherches visent à comprendre comment le murage du monde résulte des chocs sécuritaires mondiaux, mais aussi comment, alors qu’ils sont conçus comme un remède aux incertitudes d’un monde global en pleine recomposition, les murs produisent l’instabilité, sans pour autant résoudre le problème initial auxquels ils disent répondre.