Le Devoir: La pression s’accentue sur le Venezuela
Aux prises avec l’une des « plus importantes crises de son histoire récente », le Venezuela s’est retrouvé particulièrement isolé lundi, alors que le Groupe de Lima, dont fait partie le Canada, a réitéré son soutien au président par intérim, Juan Guaidó, et que les États-Unis ont imposé de nouvelles sanctions à ce pays d’Amérique latine.
Dans une énième tentative de dénouer l’impasse politique dans laquelle est plongé le pays dirigé par Nicolás Maduro, le Canada a ainsi fait savoir lundi qu’il accueillera à Ottawa, le 4 février prochain, une réunion d’urgence du Groupe de Lima, qu’il forme avec une dizaine de pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Annoncée par la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, cette rencontre visera, entre autres, à « discuter des mesures » que devraient prendre les États « pour soutenir Juan Guaidó et le peuple vénézuélien ».
« Nous demandons [à Nicolás Maduro] de céder le pouvoir [qu’il détient depuis 2013] à l’Assemblée nationale, la seule institution encore démocratiquement élue dans ce pays, selon la Constitution du Venezuela », a dit Mme Freeland.
En agissant à titre d’hôte, le Canada adopte une posture qui, de l’avis du président du Conseil international du Canada, Ben Rowswell, s’inscrit dans son « rôle historique » de défenseur de la démocratie et des droits de la personne sur la scène internationale.
Posture qui, toujours selon celui qui a occupé le poste d’ambassadeur du Canada au Venezuela de 2014 à 2017, s’inscrit en opposition à celle adoptée par les États-Unis, ces derniers agissant de manière unilatérale, plutôt que de concert avec les autres puissances régionales.
La Maison-Blanche a d’ailleurs intensifié la pression à l’endroit du « régime de Maduro » lundi, en annonçant de nouvelles sanctions contre la compagnie pétrolière nationale vénézuélienne PDVSA — ce à quoi a aussitôt répliqué le président Maduro, en annonçant qu’il engageait des poursuites contre les États-Unis.
Loin de s’en tenir aux sanctions économiques, le gouvernement Trump a également exhorté l’armée vénézuélienne et les forces de sécurité à accepter la transition « pacifique, démocratique et constitutionnelle » du pouvoir. Interrogé sur une possible intervention militaire américaine, John Bolton, conseiller à la Sécurité nationale de la Maison-Blanche, a réaffirmé, comme l’avait fait Donald Trump, que « toutes les options » étaient sur la table.
Danger militaire
Cette escalade des interventions étrangères, couplée à l’annonce lundi de la prise de contrôle des actifs du Venezuela à l’étranger par Juan Guaidó et aux tentatives répétées du leader de l’opposition de fissurer la loyauté de l’armée à l’égard du pouvoir, fait craindre le pire au professeur du Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal Ricardo Peñafiel.
Visiblement inquiet, ce dernier pose en effet un regard très critique sur ces tentatives de faire basculer le pouvoir militaire, soulignant que ces manoeuvres, couplées aux menaces d’intervention de plus en plus soutenues de la part des États-Unis, pourraient bien faire basculer ce pays d’Amérique du Sud dans une sanglante guerre civile.
« L’histoire nous l’a démontré à de nombreuses reprises, avance le chercheur, les prises de contrôles militaires se font rarement sans heurts. » Selon lui, la situation du Venezuela n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle ayant mené à de nombreux coups d’État qui ont eu lieu en Amérique latine au cours des dernières décennies. « Il est utopique, voire presque angélique, de penser que les militaires vont tout simplement se ranger derrière l’opposition et organiser de nouvelles élections, soutient-il. Une telle intervention est particulièrement imprévisible et risque en fait d’intensifier la crise actuelle. »
Ce spécialiste de la région déplore également la manière dont la communauté internationale s’est saisie de la crise vénézuélienne, rappelant qu’il y a des limites à ce qu’on peut exiger comme force étrangère. « En ce moment, c’est un peu comme si la communauté internationale demandait à Emmanuel Macron de tenir de nouvelles élections à cause de la crise des gilets jaunes », illustre-t-il, en exposant tout de même les nombreuses « magouilles politiques » mises en place au cours des dernières années par le gouvernement Maduro pour demeurer au pouvoir.
À son avis, il aurait été préférable d’essayer d’agir de manière plus neutre — comme l’a fait le Mexique par exemple — tout en maintenant une pression économique sur le pays, l’objectif étant de ramener tout le monde autour de la table de négociation.
Racines profondes
Rappelons que le début de la crise remonte à fin 2015, quand l’opposition avait remporté les élections législatives, gagnant la majorité au Parlement. Très vite, Maduro avait répliqué avec une Assemblée constituante uniquement composée de ses partisans, qui a confisqué la plupart des prérogatives des députés. Découragée, l’opposition a boycotté l’élection présidentielle de mai 2018 et considère le second mandat remporté par Maduro comme frauduleux.
C’est donc en vertu d’un article de la Constitution sur ce qu’il estime une vacance du pouvoir que Juan Guaidó s’est autoproclamé président par intérim mercredi dernier. Son objectif ? Organiser des élections pour sortir le pays de son marasme économique et de sa crise humanitaire de plus en plus criante.