CIC Chercheur Principal Benoît Gomis dans La Presse: Les Leçons De La Nouvelle-Zélande

Selon le spécialiste du terrorisme David Rapoport, « invariablement, les tactiques terroristes produisent rage et frustration, conduisant souvent les gouvernements à répondre de façon imprévue, extraordinaire, illégale et destructrice ». À la suite des attentats perpétrés à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, la première ministre Jacinda Ardern et son gouvernement sont parvenus à éviter ces pièges. Leur réponse réfléchie et décisive devrait servir de modèle pour d’autres dirigeants partout dans le monde.
À travers ses discours publics, la première ministre Ardern a transmis des messages cruciaux, démontrant une compréhension nuancée de la nature du terrorisme, et a joint le geste à la parole. Quatre éléments précis méritent d’être amplifiés.
Premièrement, la première ministre a délibérément précisé qu’« on ne peut décrire cela que comme un attentat terroriste ». La recherche semble indiquer des divergences dans la couverture médiatique et les perceptions populaires d’attentats terroristes entre ceux perpétrés par des musulmans et les autres. « En tenant compte des types de cibles, des victimes, et des arrestations, les attaques menées par des auteurs musulmans sont en moyenne 357 % plus couvertes que les autres attaques », selon Erin Kearns, Allison Betus et Anthony Lemieux.
En qualifiant l’attaque de Christchurch de terrorisme plutôt que de crime haineux, tuerie de masse, ou autres euphémismes souvent utilisés pour des attentats inspirés par des idéologies d’extrême droite, la première ministre a d’emblée fait taire toute idée fausse. Elle a en outre souligné que le terrorisme d’extrême droite n’est pas un phénomène isolé, mais qu’il se nourrit de dynamiques internationales, et a donc appelé à une réponse mondiale.
Deuxièmement, dans un souci d’honorer les victimes et leurs proches, Ardern a promis de ne jamais prononcer le nom de l’auteur des attaques publiquement.
Certains chercheurs sur le terrorisme, notamment Alexander Meleagrou-Hitchens, directeur de recherche au programme sur l’extrémisme à la George Washington University, ont respectueusement exprimé leur désaccord, indiquant : « Les terroristes sont des produits de nos sociétés et il est important que le grand public ait accès à tous les détails importants pour qu’ils puissent jouer leur rôle dans l’identification et le combat contre l’extrémisme. »
Comprendre les facteurs potentiellement favorables au terrorisme est certainement crucial, et Ardern ne s’est pas exprimée contre le besoin d’une meilleure compréhension de ce qui a pu pousser l’auteur des attentats à l’action. La première ministre a même annoncé qu’une commission royale mènerait une enquête sur la période précédant l’attaque, pour « un examen méticuleux de ce qui a conduit à cet acte de terrorisme et comment nous aurions pu l’empêcher ». On peut espérer que le rapport final – en présumant qu’il sera rendu public – fournira l’analyse exhaustive que Meleagrou-Hitchens et d’autres ont demandée, avec raison.
MÉDIAS ET RÉSEAUX SOCIAUX
Troisièmement, encore une fois dans un souci de limiter la notoriété de l’auteur des attentats, Ardern a exhorté le public et les médias à ne pas partager d’images ou de vidéos des attaques. Cela est crucial, étant donné le risque d’attentats « copieurs » et d’autres formes de violence que ce type de couverture médiatique peut créer. Elle a aussi précisément appelé à la responsabilité des entreprises de réseaux sociaux : « Elles sont l’éditeur. Pas simplement le facteur. » Facebook et d’autres réseaux sociaux ont accompli certains progrès dans la lutte contre le terrorisme, mais il reste beaucoup à faire, comme Ardern l’a indiqué à juste titre.
Quatrièmement, à la suite d’attentats terroristes, les décideurs politiques ont souvent fait des promesses irréalistes. Le 20 septembre 2001, le président américain George W. Bush avait dit au Congrès : « Notre guerre contre la terreur […] ne se terminera que lorsque chaque groupe terroriste qui peut frapper partout dans le monde aura été repéré, arrêté et vaincu. » Pourtant, le terrorisme ne peut pas être éradiqué, mais il peut être géré et atténué de façon efficace, non pas par des gouvernements isolés, mais par un éventail d’acteurs dans nos sociétés, chose qu’Ardern saisit clairement : « Se sentir en sécurité signifie […] un environnement où la violence ne prospère pas, où l’on ne laisse pas le racisme exister. […] Je ne peux pas éliminer ces choses toute seule. J’ai besoin de l’aide de chacun d’entre nous. »
Dernier point, mais non des moindres, la première ministre a pris des mesures décisives sur le contrôle des armes à feu, dépassant l’approche centrée sur des « pensées et prières » qui est trop souvent devenue la norme aux États-Unis.
Parmi les nouvelles mesures annoncées figure l’interdiction des armes militaires semi-automatiques, des fusils d’assaut et des chargeurs à grande capacité.
Il n’y a aucune solution magique au terrorisme, un phénomène très complexe qui a pris maintes formes différentes, mais la façon dont la première ministre Ardern et son gouvernement ont répondu aux attentats de Christchurch est aussi proche d’un modèle que l’on puisse espérer.
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